Il fallut s’acharner, durant les premières années qui suivirent 1760, contre l’impossibilité même de s’instruire : sur une terre ravagée par la guerre, les Canadiens français étaient, pour la plupart, devenus de pauvres gueux, complètement ruinés ; comment faire vivre, désormais, ces quarante-quatre petites écoles qui, tant bien que mal, pourvoyaient naguère aux besoins de cent douze paroisses ?
Les congrégations religieuses dissoutes ou paralysées, leurs biens souvent confisqués ; le collège de Québec devenu caserne ; un douloureux fléchissement dans le recrutement du clergé local, puisque trente ans après la conquête, pour une population qui avait doublé, il n’y aura pas plus de prêtres qu’en 1760 ; plus aucuns livres scolaires ; nos Sulpiciens contraints à employer des manuels manuscrits ; les élèves des Ursulines de Trois-Rivières obligées de défiler, chacune quelques minutes, devant le lutrin sur lequel reposait une vieille grammaire en lambeaux, la seule qu’on eût, et apprenant là leur leçon, avec défense de tourner elles-mêmes les pages déjà si usées ; l’Angleterre s’opposant à ce que Québec, Montréal et Trois-Rivières fissent venir de France, en 1770, six professeurs « capables d’enseigner les hautes sciences » ; et les illettrés, enfin, se multipliant à un tel point qu’en 1827, dans les sphères anglaises on décorera nos Canadiens, par dérision, du nom de chevaliers de la Croix, parce qu’au bas d’une pétition de 87,000 noms, 78,000 d’entre eux signeront d’une croix.
Voilà l’état de déchéance auquel l’éloignement de nos fleurs de lis avait réduit la culture canadienne. « Que ces gens-là apprennent l’anglais », disait, en 1784, le Très Révérend Charles Inglis, évêque anglican (p. 230-231).
Histoire du Canada Français, Lionel Groulx, 1969.