En ce début d’août où les Français scrutent la météo pour connaître le temps de leur journée de vacances, ce sont de toutes autres considérations qui poussent Israéliens et Libanais à lever les yeux vers le ciel. Du firmament peut surgir à chaque instant la mort comme depuis des mois dans les kibboutz de Galilée ou des confins de Gaza, comme depuis trois semaines au Liban, comme dimanche dernier à Cana. Dans ce village où les Arabes situent le miracle des noces de Cana, l’aviation israélienne a apporté le sang et le deuil. Tout le monde, y compris en Israël, est consterné par tant de souffrances infligées à un si grand nombre d’innocents.
En France, l’émotion est peut-être plus vive qu’ailleurs. Car notre pays entretient une relation d’amitié très profonde avec le Liban, qu’elle a de tout temps protégé, comme avec Israël dont la sécurité, comme l’a rappelé Jacques Chirac dans un entretien au journal le Monde, est un élément sur lequel, pour nous, aucune concession n’est possible… Il est douloureux de voir des amis en venir à se faire tant de mal.
Mais l’émotion et le chagrin ne doivent pas faire oublier d’où vient ce mal. Depuis des mois, on l’a dit, le Hamas à partir de Gaza et le Hezbollah à partir du Sud-Liban font pleuvoir sur Israël des roquettes aux effets meurtriers et dévastateurs. Ses habitants vivent dans la peur. Israël, pourtant, s’était retiré de Gaza, évacuant ses colonies de peuplement. Il y a quatre ans, il avait abandonné sa zone de sécurité au Liban Sud. De leur côté, les États-Unis et la France ont obtenu l’an dernier le retrait des troupes syriennes du Liban et la tenue d’élections libres dans ce pays après l’assassinat de Rafiq Hariri. La résolution 1559 des Nations unies, votée à leur initiative, prévoit le désarmement des milices, notamment du Hezbollah. Tout semblait donc réuni pour que les négociations reprennent en Palestine et que le Liban, rétabli dans sa pleine souveraineté, redevienne cette Suisse du Moyen-Orient qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être.
C’était inacceptable pour les fanatiques religieux dont le poids politique se mesure à la haine qu’ils nourrissent à l’encontre de l’Occident. Ceux qui avaient dansé dans les rues le 11 septembre 2001 ne pouvaient envisager sans effroi une telle perspective de paix. La paix au Proche-Orient était inopportune aussi pour la Syrie qui cherche à se venger du camouflet infligé par la France et les États-Unis. Elle n’entrait pas non plus dans les plans de l’Iran qui, en attendant de se doter de l’arme atomique, veut montrer sa force dans la région.
Au lieu de l’apaisement attendu, ce fut donc l’escalade du terrorisme, financée et armée par la Syrie et l’Iran, jusqu’à l’enlèvement d’un jeune militaire franco-israélien par le Hamas et de deux autres soldats de Tsahal par le Hezbollah.
Israël pouvait-il laisser faire ? Dans cette partie du monde, la modération est prise pour de la lâcheté. Pouvait-il s’en remettre à la communauté internationale pour lui rendre justice ? L’inefficacité de la Finul, la force des Nations unies chargée de surveiller la frontière du Sud-Liban, et l’incapacité de l’Onu à faire respecter la résolution 1559 montraient la vanité d’une telle attente. Autant la détermination de l’Onu semblait vacillante, autant celle des ennemis d’Israël était évidente. Au demeurant, l’Histoire a appris à Israël que l’on ne vient jamais en aide à ceux qui hésitent à prendre en main leur destin.
Ce fut donc la riposte militaire que l’on sait. Disproportionnée, ont dit certains. Mais quelle proportion doit prendre une riposte face à une menace qui s’affiche comme radicale et à des ennemis qui s’abritent derrière les populations civiles ? Le président de l’Iran, Ahmadinejad, n’a-t-il pas déclaré qu’Israël devait être rayé de la carte ? Israël ne pouvait pas attendre que les fusées, qui dès maintenant tombent sur Haïfa, atteignent demain Tel-Aviv avec des charges plus meurtrières, chimiques ou nucléaires, et une précision plus grande.
Face à une simple menace, lorsque l’URSS avait installé ses fusées à Cuba, le président Kennedy avait risqué la guerre mondiale. Et quand l’Europe avait été à portée des missiles russes, elle n’avait pas hésité à accepter sur son sol des fusées américaines, provocant la crise des “euromissiles”. On imagine ce qui se serait produit si la menace soviétique avait connu un début d’exécution ! Aurait-on alors eu une riposte “proportionnée” ?
L’horreur des souffrances imposées au peuple libanais devrait forcer la communauté internationale à prendre ses responsabilités pour faire respecter la résolution de l’Onu sur le désarmement des milices. La France, par ses liens historiques dans la région, peut jouer un rôle de premier plan.
Est-il sage de s’y risquer ? Oui, parce que le Liban, pays multiconfessionnel, est aux avant-postes de cette guerre de religions déclarée par les fous de Dieu à tous ceux qui dans le monde croient encore possible de vivre ensemble avec des opinions et des croyances différentes dans le respect des uns et des autres. Reconstruire la société de tolérance que fut le Liban est pour la France autant un devoir de mémoire qu’un défi pour l’avenir.
Olivier Dassault,
“Valeurs Actuelles“, Paris, le 4 août 2006.