Diffusé pour la première fois en 1967 par la télévision britannique, la série « Le Prisonnier » reste un vrai monument dans l’histoire de la télévision. Peu de séries ont été, comme « Le Prisonnier », vouées à un tel culte à travers le monde, même si cette passion reste assez limitée, étant donné le côté un peu « intello » de cette série.
Loin de l’engouement de masse donc, « Le Prisonnier » n’en demeure pas moins l’une des séries les plus intéressantes qu’il puisse exister. Mais qu’est-ce qui a fait que « Le Prisonnier » acquiert ce statut si envié de « série culte » ?
Revenons au milieu des années 1960. Patrick McGoohan, qui deviendra l’acteur principal du Prisonnier, arrête précipitamment son rôle dans la série « Destination Danger » (« Danger Man » en anglais). Patrick McGoohan était alors considéré comme l’un des acteurs les mieux payés et les plus en vue en Grande-Bretagne. A cette époque, il souhaite créer de toutes pièces sa propre série et rencontre le scénariste anglais George Markstein qui sera à l’origine du concept si particulier du Prisonnier.
George Markstein c’était en fait inspiré d’un département des services secrets appelé “Inter Services Research Bureau” qui, pendant la seconde guerre mondiale, maintenait des agents secrets en captivité dans une prison écossaise en plein air. Tout cela sert donc de base à l’histoire si étrange de la série.
La trame de l’histoire
Un agent secret, interprété par Patrick McGoohan, démissionne des services britanniques pour des raisons inconnues. De retour dans son appartement londonien et, préparant semble-t-il un voyage pour on ne sait où, plonge dans l’inconscience après avoir été endormi d’un jet de gaz. À son réveil, il se retrouve dans un petit village des plus étrange qui ne porte aucune indication géographique, où il est impossible de passer des appels téléphoniques vers l’extérieur, où les taxis n’assurent que la desserte locale et surtout, où personne ne semble avoir de noms, mais plutôt des numéros. Devenu donc, sous la contrainte, membre de ce village, il se verra attribué le numéro 6.
Assez rapidement, il découvre que le Village est commandé par le numéro 2. Personnage étrange qui changera à chaque épisode et qui aura pour mission de découvrir les raisons sa démission.
Même si le Village est des plus ravissants, cela reste une vraie prison où chaque faits et gestes et épié par un important réseau de caméras et de micros. Le combat du numéro 6, refusant toute soumission, sera de s’évader de ce village incroyable.
Analyse philosophique de la société
Mais là ne s’arrête pas l’intérêt de la série. Bien au contraire ! Comédien, réalisateur, producteur et scénariste du Prisonnier, Patrick McGoohan transformera ce qui aurait pu être qu’une énième série d’espionnage en chef d’œuvre philosophique et sociologique.
Patrick McGoohan veut susciter chez le téléspectateur la réflexion sur notre société et beaucoup de sujets sont ainsi passés au crible : la liberté, l’individualisme, la mort, l’argent, la trahison…Il souhaite par ailleurs apporter une dimension très mystérieuse en ayant recours à des symboles et des objets iconoclastes comme le Grand Bi, vélo archaïque emblème du Village, ou le Rover (Rôdeur en français), cette boule blanche qui étouffe, au propre comme au figuré, toute tentative d’évasion. Et comme l’approximatif n’a pas de place dans une telle œuvre, chacun de ces éléments cache derrière son apparence dénuée de sens une réelle valeur symbolique qu’il convient à chacun d’interpréter comme il l’entend.
Défense de l’individu
Ce qui vient tout de suite à l’esprit, c’est ce combat que mène le numéro 6 pour défendre l’intégrité de sa personne contre ce village où règne en maître le collectivisme. Cette célèbre phrase prononcée durant le générique de la série en est la principale illustration : « Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre ! ».
Certains auteurs qui ont écrit sur « Le Prisonnier », ce font une représentation très Orwellienne de la série. Le numéro 6, c’est nous-même, le Village représente la société oppressante comme on peut la retrouver dans « 1984 ». Chaque individu étant surveillé, manipulé, abreuvé de culture bon teint elle-même contrôlée par les maîtres du village… On va même jusqu’à forcer les habitants à participer à de pseudo consultations électorales (épisode « Liberté pour tous »). C’est le conformisme qui règne en maître où chacun doit sourire en même temps et où chaque habitant du Village est contraint d’écouter chaque matin l’émission d’une radio impossible à éteindre.
Le Village s’apparente donc à une forme de dictature ? Et bien justement non ! D’après ces mêmes auteurs, chacun est soumis, chacun est heureux de vivre dans cette joie artificielle, mécanique, aseptisée, où la vie ne se valorise plus par ses tourments et ses joies, puisque la lutte est annihilée et que le bonheur est forcé, chacun étant fondu dans une masse homogène, chacun n’étant plus qu’un numéro…
Même le numéro 2, le chef du Village, ne semble pas avoir de réel pouvoir car un supérieur est toujours sous-entendu : ce fameux numéro 1 qui reste invisible. Le numéro 2, comme je l’ai dit plus haut, change d’ailleurs à chaque épisode, comme pour mieux montrer que ce n’est pas le numéro 2 le véritable adversaire. L’ennemi n’est donc pas un homme, mais la société elle-même : l’administration, la technocratie et la paperasserie. Le numéro 6 va se rebeller, et le clamera violemment : “I will not be pushed, filed, stamped, indexed, briefed, debriefed or numbered. My life is my own…”. Outre celui de partir, dès le premier épisode, il réclamera le droit de s’isoler, de s’exprimer, surtout d’avoir un comportement personnel et d’être un individualiste.
Dénonciation du communisme ?
C’est donc là que je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’analyse qui a été faite et que je viens de vous expliquer. Bien sûr, « Le Prisonnier » parle de certains travers de notre société, en essayant de nous montrer qu’il faut toujours mettre en avant les individus avant la communauté. Mais je pense que l’auteur voulait aussi dénoncer le régime communiste. N’oublions pas qu’au moment de la série, nous étions au beau milieu de la guerre froide. Le régime socialiste soviétique écrasait par le poids de sa gigantesque structure 300 millions d’individus qui ne pouvaient pas communiquer vers l’extérieur librement (le fameux téléphone du Village), qui ne pouvaient pas voyager hors de l’Union soviétique (le taxi), qui applaudissaient presque en cadence leurs chefs, et où l’individualisme était considéré comme « anti-social ». Malgré tout, plusieurs aspects décris dans « Le Prisonnier » sont aisément transposables à notre société actuelle, même plus de 30 ans après sa création. C’est aussi à cela que l’on reconnaît les chef-d’œuvres.
Comme vous pouvez le voir, ce n’est certainement pas une série à regarder au premier degré. C’est d’ailleurs un peu à cause de cela que l’accueil fût des plus mitigés lors de la diffusion, en 1967, du premier épisode de la série. Depuis lors, cela a bien changé. « Le Prisonnier » est devenu une référence et a sans doute montré qu’il était possible de réaliser d’excellentes choses pour la télévision à partir du moment où le scénario était bien construit. Tout est donc possible, même à la télévision !